Je parle assez souvent d’Ubuntu avec un collègue Windosien. Je lui expliquais un peu le fonctionnement d’Ubuntu en mettant en avant notamment sa gratuité. D’après lui, Ubuntu (ou d’autres distributions Linux) peuvent se permettre d’être gratuites pour le moment car elle n’ont pas encore conquis une part de marché très importante. Ne contestant pas ce grignotage continuel cependant, il pense qu’à terme avec le succès ces distributions deviendront payantes.

Cette discussion m’a fait me pencher sur le cas de Canonical Ltd, la société de Mark Shuttleworth et société créatrice d’Ubuntu. Je me suis rendu compte ainsi que je ne connaissais pas grand chose sur le financement du libre en général. En effet, il m’était difficile d’expliquer comment on pouvait gagner de l’argent en distribuant gratuitement un logiciel qui plus est open source. Je comprend donc la réaction de mon collègue qui lui n’y connaît quasiment rien niveau logiciels libres. Je vais essayer en quelques mots de décrire le fonctionnement financier de Canonical d’après ce que j’ai pu trouver sur le net (je ne suis pas économiste alors soyez indulgents!).

Tout d’abord, la société, emploie environ 150 personnes, ce qui est déjà pas mal.  Dès le début, la ligne de conduite est claire: développer une distribution grand public, simple d’utilisation, permettant de promouvoir le meilleur du libre et surtout gratuite. Elle a pu démarrer grâce aux millions de dollars de Mark Shuttleworth (très riche le bougre). Une fois partie, la première étape a été de la faire connaître. Pour cela, Ubuntu a proposé d’envoyer sur simple demande et à leur frais un CD de la distribution via Shipit. Même si l’utilisateur moyen va privilégier un téléchargement direct, Shipit s’adresse surtout aux associations souhaitant faire connaître la distribution. Si je parle à quelqu’un d’Ubuntu il va trouver ça cool, mais va t’il prendre la peine de le télécharger? Par contre si il a le CD en main, distribuer gratuitement, c’est déjà moins compliqué… d’autant plus qu’Ubuntu fait également office de Live-CD. C’est une autre très bonne façon de faire connaître la distribution car on peut l’essayer avant de se lancer et de l’installer.

Grace notamment à cette facilité de diffusion (et bien sur de toutes ses qualités mais ce n’est pas le sujet ici), une forte communauté c’est alors créée autour de la distribution. C’est bien d’avoir une communauté, mais c’est mieux de la faire participer! Pour développer des nouvelles fonctionnalités, détecter les bugs, effectuer les traductions dans toutes les langues connues et imaginables (ce qui permet une encore meilleure diffusion partout dans le monde), Canonical a créé le couple Bazaar/Launchpad. Bazaar qui permet gérer les différentes versions/branches d’un logiciel, et Launchpad qui est une interface web pour Bazaar mais qui permet également de gérer les bugs et les traductions (et pleins d’autres choses). Canonical a eu également la super idée de ne pas limiter Launchpad à Ubuntu (même s’il est le projet principal), mais de l’ouvrir au contraire à tous les développeurs. Ainsi tout le monde peut créer son projet sur Launchpad, qui devient du même coup une énorme plateforme regroupant du plus petit au plus gros projet OpenSource. Launchpad permet donc organisation, gestion, efficacité pour un meilleur développement d’Ubuntu.

En voilà de bonnes bases, mais ça ne rapporte toujours pas d’argent! Canonical a opté pour la stratégie du support payant. Il y a d’autres stratégies comme une licence, une version gratuite allégée et une version ‘pro’ payante, etc… Canonical propose donc à tout le monde sans distinction une distribution entièrement gratuite. Pour gagner de l’argent, elle vend  (aux entreprises, je ne pense pas que beaucoup de particuliers sont interessés…) différents types de supports techniques, pour versions Desktop ou Server plus ou moins complets (voir ici pour les prix) et sur une durée de 3 à 5ans pour les versions LTS. Plus Ubuntu deviendra populaire, plus le nombre d’entreprises souscrivant un support technique va augmenter, et plus ils se feront de l’argent, voilà le plan. Une petite entreprise avec des informaticiens qui se débrouillent ne va sûrement pas être tentée, mais il faut plutôt voir les grosses organisations, avec des milliers de personnes (ou plus quand on prend le cas par exemple de la gendarmerie française ou même de l’assemblée nationale qui sont passés sous Ubuntu), là je pense que de gros contrats bien juteux de supports techniques sont passés avec Canonical. Ces entreprises sont toujours largement gagnantes par rapport à des solutions comme Windows, où elles devaient payer le système d’exploitation, la licence pour les différents logiciels (Micro$oft et autres), en plus au final d’un support technique payant également essentiel…

Canonical propose également des formations afin que les administrateurs se voient certifier du label « je suis un crack sous Ubuntu ». Je crois même qu’il y a plusieurs niveaux de compétences… Pour aussi bien le support que la formation, Canonical travaille beaucoup avec des sous-traitant locaux.

Outre les certifications aux personnes, Canonical négocie également des certification matérielles, comme avec Dell par exemple. Si j’ai bien compris, il n’y a a priori rien d’illégal de vendre un machine sous Ubuntu sans rien payer à Canonical. Par contre, Canonical se fait payer pour certifier que les machines vendues sont conformes (après tests de vérification) à leur distribution et qu’il n’y a donc pas de soucis à avoir à acheter l’ordinateur car il tournera sans problème. Un autre bon filon si les fabricants/vendeurs d’ordinateurs suivent le chemin de Dell, et il n’y a pas de raisons ;-) . Canonical fait d’ailleurs la même chose pour les logiciels! Elle certifie que tel logiciel (surtout pour les serveurs) va tourner sous Ubuntu et se fait payer pour cela.

A côté de ça, n’oublions pas la petite boutique en ligne qui ne cesse de grandir et qui met peut être un petit peu de beurre dans les épinards, bien que ça doit être assez dérisoire :p

Pour le futur, les versions mobiles d’Ubuntu pour téléphone portables mèneront peut être également vers de lucratifs partenariats avec les constructeurs… De gros marchés à prendre là encore!

Pour résumer, les étapes sont 1) Diffusion efficace et gratuite. 2) Développement efficace grâce a des outils performante et une communauté choyée et très active. 3) Une fois la distribution ayant fait ces preuves, vente aux entreprises/organismes de supports techniques et de formations. 4) Certifications payante auprès des éditeurs de logiciels et des fabricants d’ordinateurs.

Pour le moment, la société n’est cependant pas encore rentable. Mais pas de soucis, Mark Shuttleworth ne prévoit pas d’équilibre économique avant 2010! Tout a l’air d’avoir été minutieusement préparé. Rendez vous donc dans 2 ans pour voir si les prévisions du milliardaire sud-africain sont justes, mais c’est tout le mal qu’on leur souhaite. Si Ubuntu continue sur sa lancée, elle devrait engranger un sacré paquet de fric!

Je trouve que l’idée de départ de faire de l’argent avec quelque chose de gratuit et d’ouvert est quand même très audacieux (j’aimerais d’ailleurs bien savoir qui ont été les premiers à se lancer dans ce domaine, si vous savez n’hésitez pas à laisser un commentaire :p), mais au final ça fonctionne, pas pour tous, pas pour tout le monde à la même échelle, mais ça peut marcher! Canonical devrait y parvenir d’ici moins de 2 ans si tout se passe bien.

Je me suis beaucoup inspiré de ces 2 articles pour écrire ce post, sur lemondeinformatique.fr et zdnet pour ceux qui souhaiterais compléter leur lecture.